L’une des idées les plus prometteuses de l’Engagement de Séville (Compromiso de Sevilla) adopté en juillet par les chefs d’État et de gouvernement réside dans la création d’une plateforme des pays emprunteurs, soutenue par les institutions existantes, et facilitée par un secrétariat au sein des Nations Unies. Ce concept à la fois simple et potentiellement transformateur pourrait modifier l’équilibre des informations et des influences, qui favorise depuis bien longtemps les créanciers. En permettant aux pays emprunteurs de discuter des questions techniques et des problèmes d’endettement, d’accéder à l’aide au renforcement des capacités, et de coordonner leurs actions, cette plateforme amplifierait leur voix dans le système financier mondial.
Tandis que la coordination des créanciers est depuis longtemps institutionnalisée – au travers du Club de Paris, du Club de Londres et d’initiatives sectorielles telles que l’Institut de la finance internationale – les pays emprunteurs ont souvent été dissuadés de partager des informations, ce qui a conduit à des échanges au cas par cas. La proposition de création d’un club des emprunteurs constitue par conséquent un signal politique : la reconnaissance du fait que la possibilité pour les pays du Sud de s’exprimer d’une seule voix contribuerait à la stabilité financière. La pérennité d’une telle plateforme dépendrait de la capacité de ses membres à traduire la rhétorique en coopération pratique.
Ce n’est pas la première tentative de coordination des emprunteurs, et il convient de tirer les leçons des efforts passés, qui ont débuté pendant la crise de la dette latino-américaine dans les années 1980. L’Argentine, le Brésil, le Mexique et d’autres pays de la région avaient envisagé de former un « club de débiteurs », soutenu à l’époque par le département du commerce et du développement de l’ONU ainsi que par la Commission économique des Nations Unies pour l’Amérique latine et les Caraïbes.
Le Groupe de Carthagène fut ainsi créé en juin 1984 par 11 pays d’Amérique latine, représentant 75 % de la dette régionale. Ce groupe insistait sur les origines extérieures de la crise – dont les hausses de taux d’intérêt décidées par le président de la Réserve fédérale américaine de l’époque, Paul Volcker – et plaidait en faveur d’un partage des responsabilités entre débiteurs et créanciers, ainsi que d’un réaménagement de la dette, axé davantage sur le développement socio-économique que sur l’austérité. Transmises au sommet des dirigeants du G7 à Londres en 1984, ces propositions furent rejetées, au profit de l’approche au cas par cas appliquée par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, fondée sur la programmation financière.
Les tentatives ultérieures se sont heurtées à des obstacles similaires : Le Comité des Dix de l’Afrique a dans un premier temps influencé l’approche des institutions internationales après la crise financière mondiale de 2008, mais il a par la suite perdu de son importance. Des initiatives plus récentes, telles que la Sustainable Debt Coalition, créée lors de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques de 2022 en Égypte, et les propositions du Groupe V20 (qui représente les pays les plus vulnérables face au changement climatique), ont établi un lien entre la dette et l’effondrement climatique, mais elles demeurent fragmentées.
Dans le même temps, le fardeau de la dette de nombreux pays en voie de développement s’est alourdi. La multiplication des prêteurs a rendu la coordination des créanciers plus difficile, et les chocs externes simultanés – notamment la fuite des capitaux, le ralentissement de la croissance mondiale et les perturbations commerciales – ont encore davantage érodé la marge de manœuvre budgétaire des emprunteurs.
Lors de la crise de la dette souveraine en Europe après 2008, l’inadéquation des outils existants a conduit à la création de nouvelles institutions telles que le Mécanisme européen de stabilité. Les innovations de ce type n’existent pas pour les pays en voie de développement.
Certes, l’Initiative de suspension du service de la dette (ISSD) lancée par le G20 a conféré un soulagement temporaire aux pays à revenu faible durant la pandémie, mais les créanciers privés et multilatéraux n’y ont pas participé, ce qui a limité son impact. De même, bien que le Cadre commun du G20 pour le traitement de la dette ait été mis en place pour venir en aide aux pays en situation de surendettement, seuls la Zambie, le Tchad, le Ghana et l’Éthiopie ont eu recours à ce mécanisme pour restructurer leur dette, les autres États exprimant des inquiétudes quant aux délais et aux résultats.
La Table ronde mondiale sur la dette souveraine, organisée par le FMI et la Banque mondiale, a identifié plusieurs stratégies prometteuses de résolution des problèmes de liquidité, notamment une « approche à trois piliers », plus souple, combinant réforme, financement et restructuration. La mise en œuvre de ces stratégies demeure toutefois lente.
Ces initiatives parcellaires, qui ont largement déçu, doivent éclairer la conception d’un club d’emprunteurs dans le cadre de l’Engagement de Séville. La structure de gouvernance doit tenir compte de la diversité des profils d’endettement, ainsi que de la complexité des réalités politiques, et le modèle de financement doit garantir l’indépendance institutionnelle, tout en isolant le processus décisionnel de l’influence des créanciers. Le secrétariat doit pouvoir produire des données crédibles, et contrebalancer les préjugés qui font grimper les coûts d’emprunt pour les pays en voie de développement. Des mécanismes de coordination doivent également être mis en place pour garantir un alignement efficace sur le Forum de Séville sur la dette, récemment créé.
Ce club ne doit pas constituer un bloc de confrontation, mais plutôt un mécanisme de renforcement mutuel des capacités, dans quatre domaines principaux. Premièrement, la restructuration de la dette doit placer l’accent sur la préservation de l’accès au marché. Si de nombreux pays évitent le Cadre commun (comme ils avaient évité l’ISSD) et les programmes même les plus précautionneux du FMI, c’est parce qu’ils craignent une dégradation de leur notation, et des réactions négatives du marché. Les emprunteurs ont besoin de stratégies de communication plus solides pour présenter des programmes macroéconomiques crédibles, ainsi que pour adresser des messages cohérents, fondés sur des preuves, aux agences de notation et aux créanciers privés.
Deuxièmement, une croissance durable à long terme doit être intégrée dans la programmation financière, comme l’impose l’approche à trois piliers de la Table ronde mondiale sur la dette souveraine. Les modèles actuels ne tenant pas compte des risques et des opportunités liés à la transition climatique, les emprunteurs ont besoin d’outils analytiques communs, leur permettant d’élaborer des stratégies de croissance crédibles, comparables et alignées sur le climat.
Troisièmement, les capitaux destinés à la restructuration doivent soutenir des programmes d’investissement de haute qualité, validés de l’extérieur, et être associés à des mécanismes garantissant des décaissements rapides et prévisibles – problème de longue date pour de nombreux pays en voie de développement.
Enfin, la transparence de la dette doit être améliorée. La Banque mondiale prône une « transparence radicale », mais de nombreux États peinent à opérationnaliser cette transparence dans leurs pratiques de gestion de la dette. Un club d’emprunteurs pourrait contribuer à harmoniser les modèles, les protocoles de divulgation et les processus d’examen par les pairs, adaptés aux contextes des pays en voie de développement.
Certaines avancées ont été accomplies dans l’atténuation de la crise de la dette des pays en voie de développement : la contagion financière est désormais moins fréquente dans ces États, les clauses de suspension fournissent des liquidités après les chocs, et les prêteurs officiels étendent les échéances tout en réduisant les surcharges, notamment en ce qui concerne les investissements liés au climat. Pour autant, l’objectif de viabilité de la dette nécessite que les pays emprunteurs aient davantage leur mot à dire dans l’élaboration de ces instruments, dans la promotion d’un partage plus équitable des risques, ainsi que dans la démarche consistant à veiller à ce que les innovations en matière de financement souverain soutiennent les objectifs de développement et de lutte contre le changement climatique.
Pour saisir cette opportunité, les pays du Sud et les institutions financières internationales doivent s’appuyer sur la dynamique amorcée par l’Engagement de Séville, par le rapport du groupe d’experts des Nations Unies sur la dette publié au mois de juin, ainsi que par la récente évocation du renforcement de la voix des pays emprunteurs lors du sommet des dirigeants du G20 en Afrique du Sud. L’institutionnalisation de la représentation des emprunteurs constitue une étape nécessaire pour rééquilibrer l’architecture financière mondiale, et pour faciliter la résolution du problème de la dette souveraine.
Par Homi Kharas et Mahmoud Mohieldin


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