Les auteurs ivoiriens attendent encore leur émergence

Alors que les panneaux publicitaires des boulevards abidjanais se parent d’affiches annonçant le Salon International du Livre (SILA), l’écrasante majorité des auteurs de Côte d’Ivoire ne parvient toujours pas à vivre de son art. Nouvelles pratiques ou réticence culturelle, plusieurs connaisseurs du domaine confrontent leurs points de vue sur les difficultés que traversent les écrivains ivoiriens.

Quand Karim Ouattara rend visite aux proches de ses parents, un détail dans le salon amuse toujours cet étudiant en BTS de Sciences de l’Information : la bibliothèque est la plupart du temps remplie d’assiettes et de couverts, faute de livre. Comme un symbole marquant de la place encore réduite du livre dans la société ivoirienne.

Un blocage sur le papier ?

«Le moins que l’on puisse dire, c’est que le livre ne se vend pas comme des petits pains», ironise Etty Macaire, président de l’Association des Ecrivains de Côte d’Ivoire. «L’auteur ivoirien ne peut pas vivre de sa plume, il est obligé d’exercer un métier à côté, souvent enseignant ou journaliste », témoigne ce poète également professeur de littérature. « Il y a un vrai problème d’éducation, nous ne sommes pas dans une société de lecture du livre. La tradition orale reste importante, et les enfants sont influencés par leurs parents qui ne lisent pas. »

Plus récemment, l’arrivée des nouvelles technologies est parfois vue comme un frein à la lecture. « Les jeunes de nos jours sont plus intéressés par les supports numériques », avance Christelle Osso, camarade de Karim Ouattara en BTS. « Notre pays est très en avance sur les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), donc les gens préfèrent aller sur internet plutôt que lire », théorise Jean-Paul Adomon, ancien animateur de l’émission Café Littéraire sur Radio Amitié Yopougon.

Si la lecture en ligne se développe dans le même temps, elle est encore embryonnaire. « Il y a encore beaucoup de réticence en ce qui concerne les transactions financières en ligne », prévient Yehni Djidji écrivaine et blogueuse, évoquant la menace encore bien présente de la cybercriminalité. De leur côté, les étudiants se cantonnent à des lectures scolaires, qu’ils téléchargent sur leurs téléphone ou ordinateur. « Dernièrement, j’ai lu en ligne l’e-book du président de l’Assemblée Nationale, Guillaume Soro », se rappelle Karim Ouattara, alors que sa voisine de table, Massiata Ouattara, évalue à « 5 textes en format PDF téléchargés par mois environ ». 

Des ventes encore timides

« Il y a peu d’auteurs en Côte d’Ivoire qui ont fait de l’écriture leur source de revenus exclusive. Régina Yaou et Isaïe Biton Coulibaly sont de ceux-là », ajoute Yehni Djidji. Avec plus d’une cinquantaine de titres chacun parus à leur nom, ces auteurs de nouvelles et romans « à l’eau de rose », caracolent en tête des ventes nationales, mais représentent une exception. « Biton Coulibaly et Anzata Ouattara, qui écrivent dans ce registre, remportent fréquemment le prix de la Librairie de France que nous décernons à l’auteur qui vend le plus de livres ».

Depuis son bureau de Directeur Général du quotidien d’Etat Fraternité Matin, Venance Konan, plusieurs fois distingué pour son œuvre littéraire, met en garde contre un autre danger qui mine le secteur : le piratage. « De nombreuses imprimeries clandestines copient les livres. Les maisons d’éditions comme les nôtres voient leurs ouvrages sur le marché noir avant même qu’ils soient commercialisés » déplore le Grand Prix Littéraire d’Afrique Noire 2012. Il arrive ainsi fréquemment que les ouvrages se vendent à moitié prix, sinon moins cher, dans ces filières clandestines. Enfin, « les pourcentages pratiqués par les maisons d’édition et l’impôt que l’Etat prélève sur les revenus des auteurs depuis quelques années impactent énormément sur les droits d’auteur que l’auteur perçoit », déplore Yehni Djidji.

Politique et sentiments, les recettes qui marchent

En dehors des romans sentimentaux, un genre littéraire s’est cependant développé pendant les années de crise qu’a traversées la Côte d’Ivoire : celui du livre politique. En témoignent les nombreuses photos de ministres, actuels ou d’autres temps, qui trônent sur les étagères de la Librairie de France d’Abidjan, aux côtés de celles d’autres auteurs du monde entier. « Depuis ces moments difficiles, les gens ont un certain goût de la lecture. Les livres sur la crise postélectorale de 2010-2011 en Côte d’Ivoire se vendent bien en général », opine Marie Solange Anoh, responsable de littérature générale dans l’établissement du Plateau (Cnetre d’Affaires d’Abidjan).

« Aujourd’hui, tout le monde est auteur : les hommes d’affaires, les artistes et surtout nos hommes politiques » renchérit Etty Macaire, déroulant une liste dont la longueur lui coupe le souffle : Ally Coulibaly, Cissé Bacongo, Maurice Bandaman, Charles Blé Goudé... « Leur pouvoir d’influence est important. Dès qu’ils sortent un livre, leurs partisans l’achètent », souligne-t-il.

Pour autant, c’est plus la figure politique que littéraire qui explique cette influence. « L’auteur ivoirien a perdu ses lettres de noblesse », lance, impavide, Jean Constant Adou, de l’association Bibliothèque Sans Frontières (BSF), qui promeut la lecture. « Les gens sont toujours aussi impressionnés par le statut d’écrivain, quelqu’un qui a réussi non seulement l’exploit de lire beaucoup et de sauter le cap pour passer à l’écriture. Mais pour ce qui est d’être écouté, la voix de l’écrivain ne porte pas plus ou moins que celle d’un autre citoyen », admet Yehni Djidji. La question de la vente, et donc des revenus reste cruciale : « L’écrivain est reconnu pour son aura et son prestige, mais dans une société où l’argent fait le respect, il est respecté du bout des lèvres », déplore Etty Macaire.

Une dynamique favorable

Le secteur du livre veut toutefois se convaincre qu’il a le vent en poupe. Le salut n’est pas vraiment attendu de l’Etat, qui va certes construire une grande Bibliothèque de la Renaissance, mais dont les moyens sont limités et alloués à d’autres projets. « Le gouvernement ne peut pas tout faire. Il peut diminuer les taxes sur le papier, et favoriser la lecture dans les écoles », plaide Jean-Paul Adomon. « On pourrait imaginer des tournées dans certaines régions pour faire connaître des auteurs, ou rénover nos bibliothèques en mauvais état », suggère Jean-Constant Adou.

Faute d’un investissement public massif, la société civile se mobilise. BSF mène un programme d’appui à des jeunes leaders qui promeuvent la lecture, à l’instar d’Attreman Junior, jeune employé de la Bibliothèque Nationale, qui installe des livres et des tablettes dans les salons de coiffure. De son côté, Yehni Djidji organise régulièrement Livresque, une séance d’échange entre lecteurs et écrivains, avec des livres à gagner à la clef. Et les projets dans le domaine ne manquent pas. Si la croissance du lectorat s’explique surtout par celle de la population, les signaux annonçant un regain d’intérêt pour la lecture sont donc au vert.

Un bon signe, car il semble inenvisageable d’atteindre l’émergence tant attendue avant d’avoir démocratisé le livre. « Je ne connais pas de pays développés sans auteurs qui pensent la société, prophétise Etty Macaire. La Chine, la France et les Etats-Unis ont eu leurs grands penseurs. La révolution de la pensée doit précéder celle de la pratique. »

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Repères :

3.000 francs : c’est le prix moyen d’un livre en Côte d’Ivoire selon le Président de l’Association des écrivains de Côte d’Ivoire.

7 millions : c’est le nombre de livres produits en 2014 en Côte d’Ivoire, toutes catégories confondues.

Les ouvrages scolaires représentaient environ 90% des livres vendus en 2007.

Le taux d’alphabétisation des adultes était évalué à 57% environ en 2012 par l’UNICEF.

 

La nouvelle génération d’écrivains en marche

« On sent un bouillonnement », s’enthousiasme Venance Konan, « la nouvelle génération d’écrivains est plutôt jeune et dynamique », témoigne Yehni Djidji : les auteurs  ivoiriens sont plutôt optimistes en ce qui concerne leurs contemporains. Coup de projecteur sur des jeunes plumes qui se lancent, parfois à corps perdu, dans l’écriture.

« Cette génération aborde des thèmes et adopte des styles assez variés mais, à mon sens, a encore besoin de se frotter aux aînés pour affiner sa plume », décrit la blogueuse. Quant à Etty Macaire, président de l’Association des Ecrivains de Côte d’Ivoire, il savoure cette ébullition tout en déplorant de nombreuses fautes et coquilles qui passent inaperçues aux yeux des éditeurs. « On a la quantité, espérons que la qualité s’améliore », avance-t-il, prenant pour exemple le Sénégal, où le problème de la typographie ne se poserait presque pas.

Si les pères de la littérature ivoirienne, notamment Bernard Dadié et Amadou Kourouma, se sont fait remarquer par leurs prises de position politique, la polarisation apportée par les crises des années 2000 semble avoir découragé leurs successeurs. « Maintenant, les écrivains n’osent plus s’engager, de peur qu’on les accuse d’être dans un camp politique ou dans un autre », regrette Marie Solange Anoh, de la Librairie de France. Si les telenovelas ont pu populariser les romans à l’eau de rose et autres thèmes romantiques, « ce sont aujourd’hui des thrillers, des tragédies et des poésies qui sont les plus populaires », diagnostique Macaire.

Qui sont les porte-flambeaux de cette génération innovante ? Quelques noms reviennent fréquemment, à l’instar de Régina Yaou, romancière et nouvelliste née en 1955, honorée par de multiples prix et enseignant régulièrement aux Etats-Unis. « C’est quelqu’un qui soigne son style et ses thèmes », commente Marie-Solange Anoh. Flore Hazoumé, de son côté, incarne à elle seule la diversité de la Côte d’Ivoire, avec ses origines béninoises, sa naissance à Brazzaville, son adolescence en France et ses études à Abidjan. Auteure de nombreux romans à l’écriture simple mais soignée, elle a des expériences en journalisme et dans la communication.

L’un des plus jeunes porte-étendards de cette génération est un poète, Cédric Marshall Kissy. A seulement 28 ans, le poète a déjà publié de nombreux recueils, lui valant le prix des Manuscrits d’or pour les jeunes talents littéraires, en 2009. De son côté, Josué Guébo, 43 ans, touche à tout, et avec un certain succès. On lui doit de nombreuses nouvelles et poésies, qui lui permettent de recevoir le premier prix de poésie et de nouvelles aux manuscrits d’or, et l’ordre national du mérite en 2012. Les nouvelles plumes ivoiriennes ont de qui tenir, en ce centenaire de Bernard Dadié.

 

Noé MICHALON

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