Issouf Ouattara, (président de la cellule 39) « Nous voulons la réparation des injustices que nous avons subies »

Quelques membres de la Cellule 39, à Korhogo, qui gardent espoir de voir cette

Ils se présentent comme les premiers civils volontaires recrutés par la rébellion de 2002, qui a consacré la scission du pays en deux, avant d’être officiellement démobilisés et désarmés en 2007, après les accords politiques de Ouagadougou. Récemment, à la suite des mutins qui réclamaient des primes de guerre, ils ont bruyamment manifesté aux différents corridors du pays pour exiger leur part. Battus et gazés, ils gardent tout de même l’espoir de bénéficier d’une « reconnaissance de l’État. » Réunis au sein de la cellule 39 (C39), ils déclarent 6 880 membres. JDA a rencontré dans leur fief de Korhogo, leur président Issouf Ouattara, alias El Diablo, 44 ans. Formateur en droits de l’Homme avec le Mouvement ivoiriens des droits humains (MIDH) et la Ligue ivoirienne des droits de l'Homme (LIDHO), il enregistre une expérience de 17 ans dans le traitement psychologique des malades du VIH/SIDA. Qui ils sont, ce qu’ils revendiquent, et leur regard sur la situation en Côte d’Ivoire, Ouattara dit tout.

D’où tirez-vous votre appellation de « cellule 39 » ?

Ce nom vient du récépissé du combattant délivré en 2007 après les accords de Ouagadougou, à travers le Programme national communautaire de réinsertion (PNCR). Nous avons été parmi les premiers à rejoindre le combat de la démocratie auprès des militaires qui avaient commencé la rébellion en septembre 2002. Répondant au PNCR, nos numéros d’identification commençaient par « C39 », suivis d’un identifiant pour chacun des 6 880 personnes que nous étions. Juste après la fermeture de l’ADDR (Autorité pour le désarmement, la démobilisation et la réinsertion), nous n’avions plus de cadre d’expression et face à l’injustice sociale que nous subissions, il fallait trouver un cadre de rassemblement et d’expression. C’est ainsi que la cellule 39 est née. Aujourd’hui nos membres sont dispersés sur le territoire national, chacun à la recherche de sa pitance.

 À cette époque, quelles sont les promesses qui vous ont été faites ?

 À l’époque, il nous a été dit que nous serions intégrés dans l’armée avec à la clé des grades de caporaux. Bien sûr, une fois intégrés, nous allions évoluer en grade en fonction des diplômes et du règlement militaire en vigueur. Démobilisés en 2007 pour le retour de la paix, nous n’avons pas pour autant quitter les rangs de l’armée, car le pays était toujours divisé en deux et nous avons continué à servir au sein des Forces armées des Forces nouvelles (FAFN).

Que vous ont dit vos chefs pour que vous restiez encore dans les rangs ?

Ils nous avaient indiqué que nous sommes de l’armée réserviste et certaines promesses s’en sont encore suivies. Pour rappel, quand la rébellion a commencé, les militaires, peu nombreux à l’époque, nous avaient promis cinq millions de francs CFA chacun pour notre enrôlement. Nous avons été recrutés, formés et envoyés sur les lignes de front. Malheureusement, en fin de compte, nous nous sommes retrouvés en 2014 avec 800 000 francs CFA et un simple retour à la maison.

 Chacun d’entre vous a-t-il effectivement touché cette somme ?

La plupart d’entre nous a effectivement touché cette somme d’argent. Mais quand j’entends Fidèle Sarassoro (ex-patron de l’ADDR) parler de 100% de réussite, je me dis que ce n’est pas exact car dans nos rangs, nous estimons à environ 30% le nombre de personnes qui n’ont pas perçu cette somme. Certains ont été formés à l’agriculture et n’ont reçu qu’une daba et pas plus. D’autres ont été formés mais n’ont jamais eu d’accompagnement pour la réalisation de projets. Je pense que notre désintérêt pour les projets vient de là. Nous ne voulons plus de projets et nous ne voulons plus en entendre parler. Quand on donne un tricycle à un ex-combattant de la cellule 39, qui, depuis 2002, a tout abandonné pour le combat pour la démocratie, la liberté et la justice, cela est insignifiant. La durée de vie d’un tricycle est de moins d’un an. Et ces engins sont surexploités, car ils prennent souvent plus de poids que prévu. Ce qui veut dire que le moteur vous lâchera en moins d’un an. Et là ce n’est pas évident que vous ayez un retour sur investissement au cours de cette période. Personne n’a non plus été suivi dans son projet, contrairement aux promesses faites. Il faut un audit de l’ADDR et non notre emprisonnement quand nous revendiquons notre dû. L’émergence infrastructurelle, c’est bien, mais n’oublions pas l’émergence sociale. Nous ne sommes pas découragés. Nous restons encore fiers d’avoir participé à la rébellion car nous avons chassé la xénophobie et le tribalisme. Malheureusement, nous n’avons pas de retour d’ascenseur et nous sommes parfois considérés comme des parias allant jusqu’à subir le martyr par la perte de certains d’entre nous. Mais nous restons dignes d’être des « démos » (démobilisés) et fiers d’être de vrais patriotes, car la Côte d’Ivoire peut toujours compter sur nous et nous sommes encore prêts et disponibles pour le combat. Si les balles ne nous ont pas tués durant 10 ans, ce n’est pas la pauvreté qui aura raison de nous.

 Ne pensez-vous pas être les seuls responsables de ce qui vous arrive ?

Ah non ! Nous en sommes plutôt les victimes. Et la responsabilité vient d’ailleurs. D’abord de nos chefs qui, quand il fallait faire des listes pour insérer des personnes, ont fait la part belle à leurs copines, leurs familles et ont gonflé les chiffres. Deuxièmement, les structures de réinsertion n’ont pas touché les personnes concernées, et de trois, l’État de Côte d’Ivoire n’a pas surveillé tout ce mécanisme. La faute n’incombe pas aux démobilisés, et nous avons le sentiment d’être les victimes de ces trois entités. Victimes surtout d’un désordre administratif depuis 2007, qui nous tue malheureusement à petit feu.

 Quels sont vos revendications précises ?

Nous sommes plutôt dans une phase de doléances. Nous demandons que notre statut nous soit restitué. Ils nous ont dit que nous étions des caporaux et nous souhaitons jouir de ce statut. Nous sommes démobilisés depuis 2007 et si nous partons sur le fait qu’avec nos grades de caporaux nous devions toucher au moins 70 000 francs CFA par mois, cela nous conduit aujourd’hui à 8 400 000 francs CFA. Ajoutez cette somme à 17 millions (prime ECOMOG) et vous voyez que revendiquer 25 millions n’est pas du chantage. Et troisième chose, nous demandons la réinsertion des plus jeunes dans l’armée. Nous reconnaissons que le pays a d’énormes difficultés mais nous aussi, nous en avons. Malheureusement, il y a de la manipulation politique qui se mêle à nos problèmes et cela n’est pas acceptable. La pilule des projets ne passe plus. Seul le Président de la République, que nous remercions et félicitons pour avoir déjà fait beaucoup, peut décanter notre situation pour une résolution définitive de cette bombe sociale. Nous sommes endettés et la prise en compte de notre statut devrait pouvoir nous aider à payer nos dettes. Si la Côte d’Ivoire est aujourd’hui en marche pour l’émergence, c’est en partie grâce à nous. Aujourd’hui, quand nous avons un boulot et que les chefs d’entreprise savent que nous sommes des démobilisés, ils nous virent car selon eux, nous n’avons pas bonne presse. Qu’avons-nous fait pour mériter cela ? Quand nous sommes sortis récemment, c’était pour demander, de vive voix, à parler au Président de la République car on nous empêche de parler et nous avions le sentiment que le président n’était pas bien informé de notre situation, car certains n’ont pas intérêt à ce qu’il soit bien informé.

 Comment s’est opéré le choix entre les 8 400 militaires ?

Je n’étais pas dans les secrets, mais je sais juste que ce sont nos chefs de guerre qui ont établi la liste dite des « 8 400 ». Et cela s’est passé à notre détriment, nous qui avions eu des présences de corps et des matricules militaires au profit des copains et autres. Un miracle s’est produit pour que nous ne soyons pas pris. Tenez-vous bien, aujourd’hui certains amis ne sont pas démobilisés, ils ont des matricules mais n’ont pas le mécano et donc ne sont pas pris en compte dans l’effectif militaire, donc non salariés à ce jour.

Qu’avez-vous retenu de la rencontre avec le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly à la fin janvier, ici même à Korhogo ?

D’abord il faut rappeler que bien avant, j’avais été conduit le 4 décembre 2016 à la Direction de la surveillance du territoire (DST). Je n’y ai pas été torturé et j’ai été libéré le 22 janvier, sous la pression de mes camarades et de certaines ONG de défense de droits humains, dont je suis membre. Le Premier ministre nous a tenu un dialogue franc et sincère, tout en nous demandant de ne pas créer de troubles. Entendre le Premier ministre nous dire que la Côte d’Ivoire n’avait plus d’argent à nous payer était franc et direct, mais désolant pour nous. Il nous a parlé de réinsertion durable, de projets dont nous avons déjà de mauvais souvenirs, car toujours détournés au profit des familles de ceux qui en gèrent les fonds. Nous lui avons réaffirmé notre soutien, de même qu’au Président de la République, en nous proposant encore volontaires pour faire barrage à quiconque essaiera de porter atteinte au gouvernement. Mais nous ne pourrons pas encore accepter des projets avec des personnes qui ont quarante, cinquante, voire soixante ans.

Par la suite vous avez rencontré le ministre d’État, ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko, à Abidjan à la fin mai, et vous avez annoncé qu’un accord avait été trouvé, sans en donner le contenu. De quoi s’agit-il ?

Nous avons eu un accord de paix et de cohésion sociale. L’accord prévoit que nous ne perturbions plus les corridors, car nous mettons en danger l’économie nationale, et surtout l’activité de nos parents commerçants et paysans. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons présenté nos excuses au Président de la République, à la nation et à nos parents. Mais c’est parce que la situation est devenue intenable et que nous n’avions pas d'autre choix que de nous faire entendre bruyamment. Nous voulons la paix certes, mais nous demandons également à ce que l’injustice sociale que nous subissons soit réparée. On ne peut pas comprendre que les militaires (8 400) salariés, avec des grades qui évoluent, reçoivent 17 millions et que nous en soyons écartés. Cette somme n’est pas un arriéré de salaire, c’est le travail abattu par tous. Donc, payer ces derniers et ne pas nous payer, c’est de l’injustice. Le secret du bonheur des ex-combattants est dans le cœur du Président de la République. Et  pour cette trêve obtenue, nous attendons qu’il parle afin de nous libérer.

 Vous parlez de trêve ?

Oui, car si jusqu’à un mois, nous n’entendons rien, nous serons à nouveau obligés d’occuper les rues, mais cette fois de manière pacifique. Nous serons à nouveau sur les corridors avec toutes les dispositions pour éviter l’incident de Bouaké car nous ne voulons plus de morts dans nos rangs. D’ailleurs, pour ces incidents, nous appelons à une enquête impartiale avec les organisations de défense des droits humains. Nos camarades ont reçu des balles dans le corps et non une grenade. Nous avons fait la guerre et nous savons au moins qu’une grenade fait une explosion à 10 m à la ronde, avec une élévation d’un mètre. Quelqu’un qui a fait une dizaine d’années de guerre sait au moins comment déclencher une grenade. Nous n’avons pas d’armes et dire que nous avons une grenade, c’est quelque part dire que le désarmement et la démobilisation ont échoué. Mais rassurez-vous, nous n’en avons pas, car si c’était le cas, nous aurions obtenu gain de cause depuis belle lurette. Nous sommes des combattants aguerris. Souvenez-vous que Laurent Gbagbo en plus d’être plus armé que nous, a fait appel à des Angolais et à des Libériens, mais a mordu la poussière face à notre détermination. Nous abattre n’est pas une solution.

 Vous gardez toujours espoir ?

Après la rencontre avec le ministre de l’Intérieur, nous pouvons dire que le Président de la République est désormais mieux informé de nos réalités. Et nous gardons l’espoir qu’il ait une très bonne solution pour nous.

Les sommes réclamées atteignent jusqu’à 25 millions, quel montant êtes-vous prêt à concéder ?

Que le président nous dise ce qu’il peut faire pour nous. L’essentiel est de pouvoir sortir de la galère, de la honte sociale et de garder notre fierté d’avoir combattu et d’être de vrais patriotes.

Pourtant avec 800 000 vous n’avez rien réalisé ?

Nous étions déjà endettés avec des loyers et des factures impayés. La situation des C39 est vraiment compliquée. Et nous ne savons vraiment pas d’où vient le chiffre de 74 000 ex-combattants.

À combien estimez-vous ce nombre ?

Franchement, avec toutes les insertions que le Président de la République a pu faire dans les différents corps de l’armée, nous devions nous retrouver avec 10 000 ou tout au plus 15 000 ex-combattants. Autre problème, certains de nos camarades qui ont effectivement pris part au combat depuis 2002, n’ont ni été insérés dans l’armée ni pris en en compte par l’ADDR. Elle a estimé qu’ils avaient des numéros matricules, et pourtant, l’armée ne les reconnaissait pas (il présente une attestation de présence de corps de l’un de ses amis censé être au grade de deuxième classe, mais inconnu des fichiers de l’armée). Il faut un audit réel de l’ADDR car certains n’ont pas fait leur travail.

Dans vos rangs, certains disent que nous ne sommes pas loins d’une autre rébellion. Etes-vous prêts à refaire 2002 ?

Si la pauvreté nous frappe, nous préférons mourir dans la dignité et nous refusons de nous faire manipuler par qui que ce soit. Nous ne nous reconnaissons pas dans le langage des va-t-en guerre qui font ce genre de déclarations. Nous avons fait allégeance au Président de la République et nous n’allons pas suivre un aventurier. Nous ne voulons plus de guerre et nous n’allons pas suivre quelqu’un. Nous avons nos problèmes à nous. Et nos problèmes sont des problèmes de familles, de droits fondamentaux, de faim, de scolarisation de nos enfants et de logement. Que les militaires ne nous prennent pas pour cible. Au moment où on nous refuse un statut juridique, on utilise certains pour la création d’une association d’ex-combattants à Bouaké, pour que Bouaké soit le bastion politique de candidats à la course au pouvoir en 2020. Ce n’est pas sain et cela n’est pas fait pour calmer les choses et nous rassurer. Nous ne sommes pas des voyous, mais nous sommes une bombe sociale qu’il faut désamorcer. Nous diviser n’est pas une solution et nous avons du mal à comprendre qu’après la rencontre avec le Premier ministre, des ministres ou des députés viennent voir certains d’entre nous en aparté, allant jusqu’à entretenir certains financièrement. Il faut éviter cela car nous qui restons dignes, pouvons être poussés à la révolte.

Mais en attendant l’État, que faites-vous pour vous insérer ?

Nous courons un peu partout et acceptons beaucoup de métiers que vous ne pouvez imaginer, allant de garçon de ménage à vigile. Après les expériences vécues dans les camps militaires, avec 25 000 francs CFA, nous sommes prêts à travailler et éviter de tendre la main. Nous sommes une intelligence militaire qui n’a plus besoin de formation. Nous avons tiré des AK47, des 12/7, des roquettes et des grenades. Nous savons faire des plans militaires, tendre des embuscades et préparer des plans B pour chaque situation. Si nous voulions la guerre, nous ne serions pas sur les corridors mais plutôt dans les camps militaires où nous avons vécu, pour prendre des armes.

Quel est l’état des relations avec vos camarades insérés ?

Il n’y a pas d’animosité mais certains nous narguent en arrachant nos femmes… (rires), les plus gentils nous donnent quelques billets, mais pas plus.

 

Ouakaltio OUATTARA, envoyé spécial à Korhogo

 

 

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